lundi 30 janvier 2017

LA FABULEUSE HISTOIRE DU MALPAS, UN PETIT COL DE L'HÉRAULT

Au mois de mai 2016, Marie-Ange et moi avions rendu visite au Malpas au cours d'une balade à VTT. Notre objectif de centcolistes (membres du Club des Cent Cols) était simplement d'ajouter un petit col à notre collection.

Marie-Ange au Malpas, mai 2016

Ce col se situe au sud-ouest du département de l'Hérault, à proximité du département de l'Aude, quelque part entre Béziers et Narbonne. On y accède principalement depuis Nissan-lez-Ensérune, mais on peut l'atteindre également en venant de Poilhes ou de Colombiers. Dans ce secteur géographique, c'est le seul col reconnu par le Club des Cent Cols.

Le Malpas et l'oppidum d'Ensérune, entre Béziers et Narbonne

Mais quelle n'a pas été notre surprise en arrivant sur place! La présence d'une Maison du Malpas nous a d'emblée intrigués. Les panneaux didactiques implantés à proximité nous ont révélé quelques uns des aspects exceptionnels du site…

Maison du Malpas et panneaux didactiques

Cependant ils n'ont pas suffi à satisfaire notre curiosité soudain aiguisée. Au retour de cette balade, nous nous sommes lancés sur Internet dans des recherches complémentaires passionnantes, à la fois géographiques, historiques et touristiques. Dès les premières lectures, l'envie m'est venue de rédiger un article sur le Malpas, dont la riche histoire s'étale sur une période d'environ 2500 ans. Pour élargir mes investigations et compléter mon reportage photographique, je suis retourné sur place le 28 décembre 2016…

Décembre 2016 : direction Malpas (alt. 50 m)…

Un col unique en son genre!

Nos amis du Club des Cent Cols, épris de hautes cimes, sont en droit de se demander ce que peut avoir de si intéressant un col qui culmine modestement à 50 m d'altitude?

Le nom de ce col est déjà en lui-même une curiosité. On dit en effet “le Malpas” tout court et non “le col du Malpas”, car la seconde syllabe "pas" exprime en elle-même la notion de col. C'est le terme que l'on retrouve par exemple dans le Pas de Peyrol, célèbre col du Cantal, à proximité du Puy Mary…  Contrairement à l'usage le plus fréquent, l'élément pas se trouve relégué en deuxième position et soudé à son qualificatif, respectant la syntaxe latine car le nom est la contraction de malus passus, “mauvais passage” en latin.

Et voilà le paradoxe ! En dépit de ce nom péjoratif, le Malpas a été choisi à de multiples reprises, depuis plus de deux millénaires, comme lieu de passage privilégié pour franchir les collines. On dénombre en effet pas moins de quatre utilisations de cet emplacement précis : une voie romaine en surface, un aqueduc souterrain en profondeur, une voie navigable également souterraine et enfin un tunnel ferroviaire! Une telle convergence de voies est unique au monde. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le passage ne doit pas être si mauvais que cela!

Croquis schématisant la superposition des ouvrages souterrains sous le Malpas

Pourquoi le Malpas est-il devenu un lieu de passage?

Le Malpas s'inscrit dans un terroir de collines enserré entre les vallées de l'Orb à l'est et de l'Aude au sud, ainsi qu'entre les étangs de Capestang à l'ouest et de Montady au nord (étangs aujourd'hui asséchés).

Montady et ses étangs aujourd'hui asséchés

Jadis, toutes ces zones humides étaient très instables. De l'époque pré-romaine jusqu'au Moyen Âge, les étangs de Montady formaient un immense marécage au fond d'une cuvette naturelle. Côté sud, entre les collines et la mer, la basse vallée de l'Aude, dont le lit variait très fréquemment, rendait impossible l'établissement d'un itinéraire permanent.

Zones humides de la basse vallée de l'Aude

Le Malpas se situait ainsi sur un itinéraire intermédiaire bien plus favorable, entre les plaines de Béziers et de Narbonne. Certes, les pentes du Malpas représentaient une difficulté sur la route du voyageur, mais ce pas était bien moins dangereux que les zones humides avoisinantes, souvent marécageuses.


Un passage très ancien à proximité de la colline d'Ensérune

Dans l'Antiquité, une autre raison justifiait d'emprunter ce col : il constituait en effet l'unique accès à l'oppidum d'Ensérune, dont les plus anciennes traces remontent au 6e siècle avant Jésus-Christ. A l'époque, on construisait fréquemment les villages sur des hauteurs pour mieux faire face aux attaques potentielles.

Oppidum d'Ensérune

Le sommet de la colline d'Ensérune, qui domine d'une centaine de mètres les plaines alentour, accueille aujourd'hui un site archéologique comprenant les vestiges d'un habitat antique qui lui vaut d'être qualifié d'oppidum. On trouve sur le site des vestiges gaulois, ibériques, grecs et romains.

Oppidum d'Ensérune : vestiges

L'agglomération d'Ensérune s'est développée à partir du 4e siècle avant Jésus-Christ, avec l'apparition de maisons de pierre et de rues. Elle est restée active durant plusieurs siècles, mais après la conquête romaine, la ville, d'abord prospère, a périclité lentement jusqu'à son abandon au premier siècle de notre ère.

Panneau didactique sur Ensérune

Le Malpas et la Via Domitia

Dès le début de l'occupation romaine en Narbonnaise, vers 118 avant J-C, la construction d'une importante voie de circulation terrestre est entreprise. Celle-ci reliera l’Italie alpine à la côte méditerranéenne jusqu'au nord de la Catalogne.

Tracé de la Via Domitia (document Internet)

Cette voie sera nommée Via Domitia en référence au général romain Cneus Domitius Ahenobarbus qui en est l’instigateur.

Compte tenu de l'importance de l'agglomération d'Ensérune, le Malpas est retenu pour le tracé de la Via Domitia, entre Béziers et Narbonne.

Malpas : borne de la Via Domitia

Outre l'accès à Ensérune, le choix du Malpas permettait à la Via Domitia de franchir avec le moins de difficulté les collines grâce à l'étroitesse de l'élévation de terrain à cet endroit, une étroitesse qui favorisait dans les deux sens de circulation un retour rapide dans la plaine.

Malpas en relief

Ainsi ce petit col a connu environ deux siècles de fréquentation régulière grâce à la première voie romaine construite en Gaule,

➜ A propos de la Via Domitia dans ce secteur, voir Voie Domitia Béziers-Narbonne.

Abandon du Malpas pour les déplacements routiers

Dès le premier siècle de notre ère, la cité d'Ensérune est progressivement désertée au profit de Nissan-lez-Ensérune, un peu plus au sud. La position sur une éminence de la cité antique ne favorisait ni le commerce ni l'extension de l'agglomération. En raison de la paix romaine, cette position stratégique, choisie pour faire face à l'insécurité, ne se justifiait plus.

Au fil du développement de la nouvelle cité, à Nissan, un itinéraire plus méridional entre Béziers et Narbonne a été recherché. Des tracés alternatifs ont peu à peu détourné les voyageurs de l'ancienne Via Domitia et du Malpas.

La D609 à Nissan-lez-Ensérune

Entre autres parcours de remplacement, on a retrouvé par exemple des traces d'un cheminement, réalisé au XVIe siècle, qui empruntait le tracé de l'actuelle D162.

On sait par ailleurs qu'au XVIIe siècle, le chemin de poste entre Béziers et Narbonne passait par Nissan-lez-Ensérune, où l’on trouvait un relais.

Bien que le tracé ait changé à plusieurs reprises entre le XVIIIe et le XXe siècle, il suivait à peu de choses près l'emplacement de l'actuelle D609, ancienne Nationale 9.

Le Malpas a donc perdu au fil du temps sa fonction de "col". Mais comme nous allons le voir, cela ne l'a pas empêché de conserver un grand intérêt, en raison de l'étroitesse de l'obstacle au milieu de collines plus massives…

La superposition des tunnels au Malpas

Ainsi, lorsqu'on a voulu creuser des tunnels dans ce secteur géographique, le site du Malpas s'est imposé puisqu'il permettait de réaliser les galeries les plus courtes possibles. Au fil du temps, comme cela a été évoqué plus haut, ce sont pas moins de trois tunnels qui ont été creusés sous le col!

La superposition des tunnels

L'assèchement des étangs de Montady

Le plus ancien de ces trois tunnels est un aqueduc, construit au 13e siècle, de 1250 à 1270, pour drainer les eaux des étangs de Montady que l'on désirait assécher.

Ce n'était pas la première fois que l'on tentait de drainer ces étangs. Au début de l’ère chrétienne, le village d’Ensérune, alors au fait de sa prospérité, s’est étendu en-deçà des hauteurs historiques. De nouveaux quartiers se sont créés au bas de la colline, au bord de l’étang. Depuis le bourg fortifié, on communiquait naturellement avec ces quartiers inférieurs en passant pas le Malpas.

Sous l'action humaine, le milieu a commencé à changer autour des nouvelles habitations. Les espèces sauvages ont fait place à des espèces cultivées. Des traces de quelques fossés de drainage datant de cette époque prouvent l'ancienneté des tentatives pour exploiter au mieux cette zone, dont l'excédent d'eau limitait les possibilités.

En dépit de la valeur de l'eau, source de multiples bienfaits, on sait que ces zones humides stagnantes présentent souvent un caractère insalubre, responsable de beaucoup d'épidémies. Mais au 13e siècle, ce n'est pas pour assainir la zone qu'on décide de l'assécher : c’est pour y cultiver du blé! L'initiative ne revient ni aux paysans ni aux seigneurs locaux, mais à des bourgeois de Béziers qui apportent les capitaux. Les terres asséchées sont ensuite cultivées par des paysans qui payent des rentes aux propriétaires, rendant ainsi l'opération rentable pour ses initiateurs.

Pour drainer les étangs, une solution à la fois ingénieuse et esthétique est utilisée. Des fossés disposés "en rayons de soleil" sont construits. Un réseau de canaux draine les eaux vers le centre. Un fossé à ciel ouvert, construit à contre pente, renvoie les eaux vers la colline d'Ensérune, puis une galerie de 1364 mètres de long creusée sous le Malpas les évacue hors de la cuvette géographique de Montady. Les eaux traversaient ensuite les anciens étangs de Poilhes et de Capestang pour aller rejoindre l'Aude.

Site des étangs asséchés de Montady

Cet aqueduc est toujours en usage. Bien qu'il lui arrive d'avoir un débit insuffisant, il n'est pas envisageable d'élargir la canalisation car l'ouvrage est aujourd'hui classé.

Deux liens pour en savoir plus sur les étangs asséchés de Montady :

➜  Montady : une histoire de plusieurs siècles
➜ Sur le site Hérault tourisme : L'étang de Montady


Le Canal du Midi

Environ quatre siècles plus tard, le site du Malpas fait de nouveau l'objet de toutes les attentions. Comme pour l'assèchement des étangs de Montady, c'est encore le blé qui sera à l'origine de cet intérêt! En effet, la construction du Canal Royal en Languedoc (ancien nom du Canal du Midi) a été entreprise en 1666 pour favoriser le commerce du blé dans la région. Et le site du Malpas sera choisi pour y creuser le premier tunnel navigable de l'histoire!

Le tunnel du Malpas

Au commencement des travaux, contrairement à ce qui se fait aujourd'hui pour un projet autoroutier ou pour une nouvelle ligne de TGV, le tracé n'est ni définitif ni précis. Les directions sont connues et repérées sur une carte. Mais l'entrepreneur est invité à s'adapter aux difficultés rencontrées sur le terrain.

Lorsque le chantier du canal s'est rapproché de Narbonne, deux options se sont trouvées en concurrence, chacune d'entre elles présentant une importante difficulté technique. Certains proposaient une option contournant les collines par le sud, mais celle-ci se heurtait au problème du franchissement de l'Aude.

De son côté, Pierre-Paul Riquet, le concepteur du canal, préférait l'option "Malpas", malgré l'obstacle nécessitant le creusement d'un tunnel.

Pierre-Paul Riquet (image Wikipedia)

Cette solution permettait au canal de traverser Béziers, sa ville natale, chère à son cœur. Et elle facilitait l'accès à Cette (ancienne orthographe de la ville de Sète), site précédemment retenu comme le plus favorable pour créer un nouveau port à l'embouchure du canal.

Les détracteurs de Riquet, favorables au tracé sud, ont tenté de faire échouer son projet. Selon eux, la colline était trop friable, rendant le creusement d'un tunnel particulièrement dangereux. Mais après s'être dûment renseigné auprès d'un certain Pascal, maître-maçon à Nissan et fin connaisseur du terrain car chargé de l'entretien de la canalisation souterraine, le Biterrois n'a pas hésité à désobéir aux ordres de Colbert et à faire percer secrètement le tunnel… avec succès!

En 1679-1680, une galerie de 165 m de long, située environ 16 mètres au dessus de l'aqueduc médiéval, franchit donc l'obstacle du Malpas. C'est le seul tunnel sur le parcours du Canal du Midi.

Le Canal du Midi vu depuis le Malpas

Quelque chose me dit qu'aujourd'hui, avec les techniques en vigueur, on ne se donnerait pas la peine de creuser une galerie à seulement 10 m de profondeur.

On peut donc remercier Pierre-Paul Riquet d'avoir eu l'audace de faire creuser un tunnel plutôt que d'éventrer la colline et d'ouvrir un passage à ciel ouvert. Cela a épargné en surface le site du Malpas et préservé son caractère unique ainsi que son avenir.

➜ Plus d'infos sur le Tunnel du Malpas : http://www.canaldumidi.com/Biterrois/Malpas/Malpas.php

Le Canal du Midi : entrée du tunnel du Malpas

Le tunnel ferroviaire

Le caractère unique du Malpas est encore accru du fait de la présence d'un troisième tunnel au même endroit! Celui-ci, un tunnel ferroviaire d'une longueur de 504 m, a été percé au XIXe siècle (1854-1856), pour accueillir la ligne de chemin de fer entre Béziers et Narbonne. Il se situe au-dessus du drain de vidange de l'étang de Montady mais au-dessous du Canal du Midi.

Tunnel ferroviaire du Malpas (document Internet)
Ce tunnel est toujours en service actuellement, sur une ligne importante : Bordeaux-Sète.

Entrée du tunnel ferroviaire du Malpas, côté Narbonne

Un mauvais passage?

Si l'on considère tous les aspects positifs d'un lieu de passage si favorable, on peut se demander d'où lui vient cette réputation de “ mauvais passage” qui lui a valu son nom.

Compte tenu des difficultés rencontrées par Pierre-Paul Riquet à la fin du XVIIe siècle lors du creusement de son tunnel, certains y ont vu une explication toute trouvée. Mais on trouve mention écrite du nom Malpas dès le XVIe siècle, ce qui élimine cette hypothèse. Rien n'interdit de penser par ailleurs que l'appellation était en usage bien avant cette première mention écrite. Cependant, dans les documents historiques, aucune explication n'est donnée quant à l'origine du nom. On en est réduit aux hypothèses.

Le seul fait d'avoir à franchir cet obstacle surélevé sur un itinéraire globalement plat peut avoir été considéré comme un mauvais passage. Mais une caractéristique de la voie, par exemple un important ravinement lié à une forte pente, a pu rendre particulièrement difficile la circulation de chariots chargés.

Certaines sources indiquent cependant que le Malpas porterait ce nom "en raison de la mauvaise réputation des lieux". Marion Pujols, spécialiste du site, précise que « la colline aurait peut-être abrité une auberge mal famée avec des brigands et des prostituées ». A ma connaissance, l'existence d'une telle auberge n'est pas prouvée.

Mais auberge ou pas, des bandits de grands chemins ont pu profiter d'un passage au relief un peu délicat pour attaquer les voyageurs…

Image extraite du panneau didactique sur la Via Domitia

Le Malpas aujourd'hui

Quelles que soient l'origine de son nom, son histoire et sa mauvaise réputation, le Malpas est aujourd'hui redevenu un lieu de passage apprécié grâce au tourisme. La communauté de communes “La Domitienne” (http://www.ladomitienne.com) ne s'y est pas trompée et a développé l'accueil des touristes sur le site (voir la brochure Via Ensérune).

Via Ensérune

Le col est à nouveau franchi régulièrement, que ce soit pour se rendre au site archéologique de l'Oppidum d'Ensérune…

Accès à l'Oppidum d'Ensérune

… pour visiter la Maison du Malpas, centre touristique et culturel…

Maison du Malpas

… ou tout simplement pour passer d'une rive à l'autre du Canal du Midi.

Un vélo au Malpas!

Pour finir, n'oublions pas l'intérêt que présente le Malpas pour les cyclotouristes et les chasseurs de (petits) cols. Bref, si le Malpas a une longue histoire, il a aussi un bel avenir!

Claude
Photos et documents personnels, sauf mention contraire